Ces photographies, produites au Japon
du début des années 1860 jusqu’au
tournant du XXe siècle, sont conservées
dans des albums et un portfolio.
Elles représentent les paysages,
les monuments, mais aussi les villes
anciennes ou en mutation, jusqu’aux
scènes quotidiennes ou théâtralisées,
peuplées de protagonistes de la culture
japonaise : femmes en kimono,
samouraïs, yakuzas, prêtres, porteurs
de palanquins. Les shashin n’ont pas
vocation à représenter les réalités
du Japon au moment de la prise de vue,
mais doivent confirmer l’idée que les
Occidentaux, qui visitent le Japon
et collectionnent ses artefacts, s’en font,
projetant leur quête d’une civilisation
« exotique » ancienne, malgré les
modernisations réalisées sous l’ère Meiji.
Le pinceau du coloriste donne vie
à la photographie grâce à la couleur
des tissus, la brillance des armures,
les reflets de l’eau dans les paysages.
L’intemporalité recherchée est exprimée
par la monumentalité des types
posés sur des fonds accessoirisés
ou épurés. Parmi les maîtres du genre,
on trouve Felice Beato, Raimund von
Stillfried et Kusakabe Kimbei, dont les
ateliers dominent successivement
la production. Les shashin témoignent
de processus de création similaires aux
arts appliqués et révèlent les phénomènes
d’apprentissage, de collaboration
et de reprise d’atelier remettant en cause
la notion d’auteur unique.
L’exposition évoque également le système
économique de ces photographies,
à travers leur conditionnement - portfolio,
albums de laque ou de soie, leur mode
d’acquisition - achat lors d’un voyage
au Japon ou dans des boutiques en
France - ce qui met en lumière la façon
dont elles circulent et sont diffusées.
Certaines de ces images figurent
au programme des expositions
universelles, avec les arts libéraux
ou dans les sections anthropologiques
qui présentent « Le travail et son
histoire », en 1878 et 1889, par exemple.
Leur réception est donc complexe,
dans un contexte colonialiste,
nostalgique et touristique. À la fois
objets de collection, d’inspiration
et de connaissance, ces photographies
données ou léguées à la bibliothèque
du musée des Arts décoratifs, pour servir
de modèles d’inspiration, par Raymond
Koechlin en 1903, par Hugues Krafft
en 1914 et par Gustave Schlumberger
en 1929, appartiennent à des collections
plus vastes, comprenant souvent
du mobilier, de la céramique, du textile
et des objets de décoration que leurs
propriétaires offrent parfois également
au musée.