Harper’s Bazaar, premier magazine de mode

du 28 février 2020 au 3 janvier 2021

À l’occasion de la réouverture des galeries de la mode, entièrement rénovées grâce au mécénat de Stephen et Christine Schwarzman, le Musée des Arts Décoratifs présente une grande exposition consacrée au célèbre magazine de mode américain Harper’s Bazaar. Soixante créations de couture et de prêt-à-porter, issues essentiellement des collections du musée, ponctuées de prêts de pièces iconiques prestigieuses sont présentées en correspondance avec leur parution dans ce magazine. Le regard des grands photographes et illustrateurs qui ont fait le renom de Bazaar est ainsi mis en perspective pour résumer un siècle et demi d’histoire de mode. Man Ray, Salvador Dali, Richard Avedon, Andy Warhol, ou encore Peter Lindbergh ont, en effet, contribué à l’esthétique hors pair du magazine. « Harper’s Bazaar, premier magazine de mode » retrace les moments forts de cette revue mythique, son évolution depuis 1867, en rendant hommage aux personnalités qui l’ont façonnée : Carmel Snow, Alexey Brodovitch et Diana Vreeland. Tous trois, à partir des années trente propulsent le magazine dans la modernité de la mode et du graphisme instaurant une exigence qui fait encore école. La rénovation et l’aménagement des galeries ont été confiés aux architectes Nicolas Cèbe & Jérôme Stablon de Bien Urbain – atelier d’architecture et au Studio Adrien Gardère. La scénographie de l’exposition a été réalisée par le Studio Adrien Gardère.

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Commissariat
• Éric PUJALET-PLAÀ, attaché de conservation au musée des Arts décoratifs
• Marianne LE GALLIARD, docteur en histoire de l’art, spécialiste de la photographie
• Assistés de Lola BARILLOT, chargée de la documentation et de la coordination

Scénographie
• Adrien Gardère

Exposition conçue par le Musée des Arts Décoratifs avec le soutien de Veronica Chou, Regina et Gregory Annenberg Weingarten et des Friends of the Musée des Arts Décoratifs.



Avec le concours de Hearst et Nancy Marks.

Présentation
«  Harper’s Bazaar, premier magazine de mode  » : interview de Glenda Bailey et Olivier Gabet
{Harper's Bazaar}, mars 1896
Harper’s Bazaar, mars 1896
Illustration de William H. Broadley
© DR

Lancé en 1867 à New York par Harper & Brothers, Harper’s Bazaar s’adresse aux femmes afin de les instruire en matière de mode, de société, d’art et de littérature. Inscrit dans la tradition des gazettes de mode européennes, il présente l’originalité d’un engagement pour la cause féminine. Sa première rédactrice, Mary Louise Booth est suffragiste, abolitionniste et partisane de l’Union lors de la guerre civile américaine. La francophilie de cette femme de lettre rejaillit dans toute l’histoire du magazine. Au XXe siècle, Picasso, Cocteau, Matisse font partie des nombreux artistes français dont le magazine s’entoure. Bazaar consacre également des articles aux figures de l’École Américaine telles Jackson Pollock, Franck Stella ou William Burroughs.

C’est aussi une revue littéraire de portée internationale qui accueille les écrits de Colette, Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, Jean Genet, André Malraux tout en accordant aux écrivains de langue anglaise une attention primordiale : Charles Dickens, Virginia Woolf, Patricia Highsmith, Truman Capote ou encore Carson McCullers ont écrit dans Bazaar.

Au-delà du contenu, c’est l’aspect esthétique de la composition graphique qui constitue la richesse du magazine. L’équilibre entre les images de mode et l’acuité de sa critique font de Harper’s Bazaar une référence de l’histoire du graphisme et de la mode. Les grands couturiers et couturières : Charles-Frederick Worth, Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet, Elsa Schiaparelli, Christian Dior, Cristobal Balenciaga doivent une part de leur mythe au rayonnement de Bazaar.

Givenchy, par Clare Waight Keller, robe courte, collection prêt-à-porter, printemps-été 2019
Givenchy, par Clare Waight Keller, robe courte, collection prêt-à-porter, printemps-été 2019
Crêpe de soie rebrodée de sequins argentés
Archives Givenchy

Déployée sur les deux niveaux des galeries de la mode, l’exposition chronologique et thématique propose une immersion dans le magazine en plaçant des robes face à leur publication originale très agrandie. Le cheminement souligne la contribution de Harper’s Bazaar à l’évolution de la silhouette depuis 150 ans et raconte comment ces images de magazine se sont construites. L’exposition intègre, en effet, croquis, photos et patrons qui ont précédé l’image de mode et nourri son inspiration.

Le parcours s’ouvre sur un bref rappel de l’histoire des périodiques de mode au XVIe siècle. Mary L. Booth, première rédactrice en chef en 1867, donne le ton du magazine et introduit les créations du couturier parisien Charles-Frederick Worth très appréciées par les clientes fortunées américaines. Le magazine prend part à l’évolution des styles en témoignant successivement du goût de l’Art nouveau, puis de l’orientalisme des Ballets russes et de Paul Poiret qui inspire les couvertures que dessine Erté dans les années folles. C’est à cette époque que les photographies du baron Adolphe de Meyer orientent le magazine vers une esthétique photographique que plus tard George Hoyningen-Huene ou George Platt-Lynes teintent de surréalisme, à l’unisson des illustrations de Cassandre paraissant en couverture. Ce style répond aux créations d’Elsa Schiaparelli ou de Madeleine Vionnet donnant à la mode une dimension métaphysique et antique.

L’accent est mis sur l’importance de la « sainte trinité » qui, dans les années 1930, fait de Bazaar un magazine de luxe avant-gardiste : Carmel Snow – rédactrice en chef s’allie le talent d’Alexey Brodovitch – directeur artistique – et de Diana Vreeland – chroniqueuse de mode. Vreeland s’impose en styliste photographique ouvrant le magazine aux grands espaces et aux corps ensoleillés que Louise Dahl-Wolfe saisit en couleur Kodachrome.

Carmel Snow introduit de grands noms de la photographies tels Man Ray puis Richard Avedon, en accord parfait avec les tendances de mode : le lyrisme d’Avedon se prête à l’envolée des robes du soir d’après-guerre. Elle baptise aussi la première collection « New Look » de Christian Dior en 1947 initiant un véritable Âge d’or. Cependant, les années 1950 remettent en question Bazaar tel que le montre le film Funny Face avec Audrey Hepburn en premier rôle. L’heure est à l’existentialisme et déjà aux premières illustrations d’Andy Warhol. L’évolution de Richard Avedon et les nouvelles ressources optiques photographiques conduisent à la révolution Pop et Op du fameux numéro futuriste d’avril 1965.

Peter Lindbergh, novembre 1992
Peter Lindbergh, novembre 1992
© Peter Lindbergh (courtesy Peter Lindbergh, Paris)

À sa suite, le photographe Hiro fait de la mode un champ d’expérimentations en s’inspirant de l’art cinétique et en combinant films couleurs et flashs. Auras, distorsions, irisations des clichés des années 1970 se reflètent aussi dans la création de mode colorée et brillante des années DDD : Disco, Dallas et Dynastie donnent le ton du Bazaar des années 1980 dirigé par Mazolla marquées par la présence en couverture des portraits de célébrités du Star Système photographiées en ektachrome et en plan très rapproché. En 1992, Liz Tilberis, rédactrice en chef, et Fabien Baron, directeur artistique, renouent avec l’élégance classique du magazine grâce à une refonte de sa typographie et au choix d’une esthétique affirmée. Linda Evangelista et Kate Moss sont mises en lumières par Patrick Demarchelier ou Peter Lindbergh.

Avec l’arrivée de Glenda Bailey en 2001, en tant que rédactrice en chef, accompagnée par Stephen Gan et Elisabeth Hummer – directeurs artistiques, le magazine se fait spectacle et s’ouvre à la fantaisie. Les photographes tels Jean-Paul Goude ou Simon Procter sont meneurs de revue. L’heure est au backstage, aux coulisses, aux grandes compositions photographiques et aux ambitieuses prises de risque. La beauté et l’éclat du magazine s’accompagnent néanmoins d’un grand respect pour son histoire.

Cette exposition est la première consacrée à un magazine de mode qui ne se limite pas à la simple présentation de photographies : elle se penche autant sur la question de la direction artistique que sur l’impact du graphisme et de la photographie, sur le rôle des femmes et des hommes qui, autant que ceux qui la créent et la portent, défendent une certaine idée de la mode. Dans un musée qui a fait de la mode l’un de ses piliers, il n’est pas inutile de rappeler que le magazine de mode est très souvent le premier matériau qui permet d’en écrire l’histoire comme il est aussi le premier véhicule de la diffusion et de la connaissance de la mode, un élément de définition de son identité, un acteur fondamental du système de la mode remis ici dans sa juste perspective.

Exposition «  Harper’s Bazaar, premier magazine de mode  »
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L’exposition « Harper’s Bazaar, premier magazine de mode » a définitivement fermé ses portes le 3 janvier dernier. Redécouvrez soixante créations de couture et de prêt-à-porter, issues essentiellement des collections du musée, ponctuées de prêts de pièces iconiques prestigieuses sont présentées en correspondance avec leur parution dans ce magazine.

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Liste des œuvres présentes dans la visite
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Miss Booth
Par Éric Pujalet-Plaà

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

La première rédactrice en chef du Harper’s Bazar, Mary Louise Booth, est née en 1831 dans l’État de New York et a grandi dans la campagne de Long Island, où sa famille est établie depuis le XVIIIe siècle. Enfant surdouée, élevée dans le respect des Écritures et des Humanités, elle gagne rapidement sa vie en tant que rédactrice, traductrice et journaliste. […]

Ses traductions de La Femme affranchie de Jenny d’Héricourt et de l’autobiographie de George Sand, non publiée, reflètent son engagement pour la cause des femmes. Dès 1855, elle se lie aux fondatrices des groupes de femmes du New England Women’s Club de Boston et du Sorosis Club de New York. L’année suivante, elle rejoint l’Anti-Slavery Society. Elle s’engage aussi en matière esthétique en devenant membre, à partir de 1857, de la Society for Advancement of the Truth in Art. […] Mary L. Booth et le Dr Zakrzewska cosignent en 1862 un appel à souscription pour un Woman’s journal ayant pour devise « l’égalité des droits pour tous les hommes ». La guerre civile fait avorter ce projet. […]

{Harper's Bazaar}, 2 novembre 1867
Harper’s Bazaar, 2 novembre 1867
Gravure. Illustr. Heloïse Lenoir

En 1867, les quatre frères Harper – Fletcher, James, John et Joseph –, qui publient les magazines populaires Harper’s Weekly, Harper’s New et Harper’s New Monthly, s’adressent à miss Booth en vue de lancer un hebdomadaire féminin à l’image du magazine berlinois Der Bazaar. […]

Mary L. Booth construit un succès en définissant ses orientations de magazine de mode – « Nos lecteurs seront ainsi assurés d’avoir accès aux authentiques modes parisiennes, en même temps que les Parisiens eux-mêmes » – et de société : « Les séries, les nouvelles, les poèmes, les mélanges littéraires et artistiques, la science familière, l’esthétique, la littérature actuelle, les nouveaux livres, les divertissements, le jardinage, l’architecture, la littérature domestique – en bref, tout ce qui est susceptible d’intéresser le cercle familial aura la place qui lui revient. » […]

Mary L. Booth affirme une ligne éditoriale fidèle à ses opinions, ouvrant ses pages à la cause suffragiste, mais demeurant, de son propre aveu, en deçà du militantisme. […]

Le féminisme avant la lettre de Mary L. Booth, son patriotisme, sa francophilie sont les ingrédients du style Harper’s Bazar, magazine plus que manifeste d’art de vivre alliant luxe, expression littéraire, portée artistique et notion de progrès social. […]

Carmel Snow, être au fait de son temps
Par Marianne le Galliard

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

L’arrivée de Carmel Snow en tant que rédactrice en chef en 1934, constitue une étape clé dans l’histoire du magazine. Grâce à elle, Harper’s Bazaar entre dans la modernité. Formée chez Vogue dans les années 1920, Snow a déjà un œil critique et des positions bien tranchées en matière de contenu éditorial. […]

Francophile, elle s’entoure de nouveaux contributeurs, des personnalités du Tout-Paris : le poète et illustrateur Jean Cocteau, le décorateur Christian Bérard dit « Bébé », la journaliste Janet Flanner, correspondante du New-Yorker, auteure sous le nom de plume « Genêt » de Letter from Paris, et Marie-Louise Bousquet, qui tient un salon, place du Palais-Bourbon.

Elle fait aussi appel au peintre Marcel Vertès, l’illustrateur des publicités pour le parfum Shocking de Schiaparelli, les décorateurs-illustrateurs Jean et Valentine Hugo et le peintre-décorateur Jean-Michel Frank.

Jeanne Lanvin, dessin de collection, robe {Pénombre}, Printemps-été 1929
Jeanne Lanvin, dessin de collection, robe Pénombre, Printemps-été 1929
Gouache sur papier. Collection Patrimoine Lanvin, Paris
© DR

Ces personnalités se connaissent, collaborent à des projets liés au décor de théâtre, à la mode et à la publicité, organisent des fêtes costumées somptueuses. […]

Très vite, Snow introduit une nouvelle image de la femme, en accord avec les sports, le plein air, la spontanéité et la joie de vivre. Pour cela, elle décide de donner toute la place à la photographie. […] Pour la première fois, les modèles courent et bougent au naturel, cheveux au vent. L’instantané photographique, le snapshot, fait son entrée dans le magazine. […]

En 1934, elle choisit de confier la direction artistique à Alexey Brodovitch […] En vingt ans, ils réussissent tous deux à inventer un nouveau magazine. [...] Harper’s Bazaar acquiert une nouvelle identité intellectuelle et visuelle, renforcée par la présence accrue des photographies.

Carmel Snow n’hésite d’ailleurs pas à faire part de son engagement politique, notamment sur la place des femmes au travail (novembre 1934), la condition des artistes afro-américains (Marian Anderson, septembre 1937) ou encore le logement dans les quartiers pauvres (reportage de Walker Evans, août 1939). Ces articles insérés de manière subtile dans les pages du magazine ne manquent pas de nous surprendre encore aujourd’hui par leur modernité. […] Snow aimait à répéter que l’enjeu principal était d’« être en phase avec son temps ».

Diana Vreeland Étincelles
Par Marianne le Galliard

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

C’est en la voyant danser lors d’une soirée à l’hôtel St. Regis à New York, que Carmel Snow repère Diana Vreeland et lui propose de devenir chroniqueuse pour Harper’s Bazaar en 1936. Sa rubrique « Why don’t you », publiée jusque dans les années 1940, lui donne la possibilité de laisser libre cours à sa fantaisie débridée. […]

Anonyme, Robe du soir de Madeleine Vionnet, automne-hiver 1936
Anonyme, Robe du soir de Madeleine Vionnet, automne-hiver 1936
© MAD, Paris

En prodiguant toutes sortes de conseils extravagants dans la veine surréaliste, Diana Vreeland devient un personnage hors-norme dans le monde de la mode par son originalité, son audace et son excentricité. […]

Officiellement créditée rédactrice de mode dans les pages du Bazaar en 1939, Diana Vreeland est selon Richard Avedon celle qui réinvente la profession, jusqu’alors entre les mains de dames de la bonne société, œuvrant pour un cercle de clientes très fermé.

Son exubérance, qui prend à contrepied la sobriété et la modération du duo Snow-Brodovitch, forme un précipité qui ne peut que faire des étincelles : « Elle adore son travail, déclare que pour elle la mode est essentielle – elle pense, vit et respire la mode. […] Le luxe, les mondanités, le paraître n’ont aucun secret pour elle et pour avoir peaufiné son style inimitable pendant des années, elle sait parfaire l’élégance d’un modèle avant une séance photo. Le vernis, les accessoires, les coiffures. Rien n’est laissé au hasard. En cela, elle prend la relève de Reginald Fellowes, surnommée « Daisy », qui tenait le bureau parisien du Harper’s Bazaar.

Elle incarne pour Snow « le nouveau monde de la jet-set internationale ». De fait, elle n’aura aucun mal à convier des femmes du monde, richissimes et réputées inaccessibles comme Jacqueline de Ribes, Gloria Vanderbilt, Marella Agnelli ou encore Barbara Paley, dite Babe, à poser devant l’objectif de Richard Avedon. […] « Triompher de la banalité », pour reprendre les mots de Truman Capote, voilà la contribution majeure de Diana Vreeland à Harper’s Bazaar.

New Look
Par Marianne le Galliard et Éric Pujalet-Plaà

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

Le boom économique américain de l’immédiat après-guerre se traduit dans Harper’s Bazaar par un essor de la publicité, dont les revenus permettent d’ouvrir le magazine à davantage d’articles sur l’art, le théâtre et la danse. […]

Après avoir rendu hommage au courage des acteurs de la mode restés en France, aux couturiers et aux artisans, « sans qui Paris n’aurait pas survécu », elle cherche à insuffler une vague d’optimisme. […]

Réplique de la robe {Chérie} de Christian Dior, 1959
Réplique de la robe Chérie de Christian Dior, 1959
D’après le modèle du printemps-été 1947. Toile de coton, Paris
© MAD, Paris

En février 1947, Carmel Snow perçoit aussitôt l’impact de la première collection de Christian Dior. Son exclamation « Your dresses have such a new look ! » baptise la collection et le style dominant de l’après-guerre. […] Christian Dior est à cette époque aussi illustrateur du Figaro dont il anime la page mode du jeudi de petits croquis enlevés.

La création de la maison Dior avec le soutien de Marcel Boussac est la grande affaire de la saison. L’attention de Snow est sans doute aussi attisée par l’idée de voir un dessinateur, dont elle connaît la culture et la formation artistique, s’exprimer enfin sous son nom propre. À l’issue du défilé, c’est le « look » qui retient son attention, et non la coupe, la couleur ou la texture : c’est dans l’aspect visuel que réside la nouveauté, le dessin prime. L’autorité du couturier passe par le dessin que ses ateliers doivent retranscrire en étoffes. […]

Les robes finies, conçues comme des sculptures (prenant souvent appui sur des bustiers ou des fonds baleinés), conforment la silhouette à un dessin très arrêté. […] Avant même d’être photographiées, les robes se fixent dans la mémoire telles des gravures de mode, comme si le couturier avait anticipé leur inscription dans le magazine. Chez Dior, la maîtrise de l’image reflète la parfaite assimilation de la culture du magazine, intégrée au procédé créatif de la couture.

Richard Avedon, Paris est une fête
Par Marianne le Galliard

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

Richard Avedon n’a que vingt et un ans quand il débute à Harper’s Bazaar en 1944. […] Conquis par son ambition et sa persévérance, Brodovitch finit par l’engager, ce qui s’avérera être l’une des plus belles aventures humaines et artistiques au sein d’un magazine de mode. Comme Carmel Snow, Alexey Brodovitch et Diana Vreeland, Avedon est un inventeur, un perfectionniste acharné, un amoureux du détail et du travail bien fait.

Pendant vingt ans, son règne est total au sein de Harper’s Bazaar, sa deuxième maison : « Bazaar était ma maison. Je me souviens être passé en vitesse devant les vitrines réfléchissantes de Longchamps sur le chemin menant aux bureaux de Bazaar, en me disant que je me verrais vieillir, courant devant ces panneaux de verre ».

Karl Lagerfield pour Chloé, robe {Bugatti}, prêt-à-porter automne-hiver, 1983
Karl Lagerfield pour Chloé, robe Bugatti, prêt-à-porter automne-hiver, 1983
Jersey de soie brodé par Hurel de perles et facetté en verre. Patrimoine Chloé
© DR

Pour lui, Snow et Brodovitch, qu’il reconnaît comme son seul maître, font autorité au sein de cette nouvelle famille : « Brodovitch était aussi rigoureux et coriace que mon père. Et Carmel était aussi chaleureuse, ouverte, accommodante et compréhensive que ma mère. » Junior Bazaar est son tout premier terrain de jeu. […]

Jouant sur les profondeurs de champ, il n’hésite pas à isoler un modèle au premier plan, quitte à rendre l’arrière-plan entièrement flou. Petit à petit, il va inventer une nouvelle école, mêlant des influences à la photographie de Munkácsi, au cinéma d’Ernst Lubitsch, à la culture parisienne de l’entre-deux-guerres, celle d’un Paris rêvé avec Picasso, Cocteau, Bérard, Colette...

[…] Avedon devient le compagnon indispensable de Carmel Snow lors des présentations des collections à Paris. Une nouvelle rubrique, « Carmel Snow’s Paris Report », créée à partir de 1951, fait office de véritable portfolio pour les photographies d’Avedon, montrant sous des ensembles de cinq, parfois sept doubles pages les dernières modes.

Le Paris d’Avedon est une grande fête, pour les yeux, pour la femme et pour la mode française […] Cette appropriation d’un passé européen romantique, cette nouvelle joie de vivre, ce retour aux fastes raffinés qui déferlent dans sa photographie contribuent au regain de l’industrie de la mode française.

La grande innovation d’Avedon tient au fait d’avoir su transposer scéniquement l’instantanéité (sous l’influence de Munkácsi) et le spectaculaire, pour créer l’illusion d’une scène (faussement) réelle et vivante mais qui, par son éblouissement, fait rêver.

Hiro

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

Le photographe japonais Yasuhiro Wakabayashi, dit Hiro, débarque à New-York en 1954, où il devient assistant d’Avedon en 1957. Sous contrat avec Harper’s Bazaar entre 1958 et 1971, il expérimente de nombreux procédés avec une prédilection pour le grand angle, les rétroéclairages au sol, les multi-expositions et les effets de flash et de nimbe. Jacques-Henri Lartigue, présent sur un des shootings, en saisit le making of, montrant comment Hiro adopte des angles inattendus en plongée abrupte par exemple. Hiro affranchit ainsi la silhouette de sa représentation traditionnelle en pied. Sur les vues en raccourci, les imprimés se fondent en une seule surface ornementale abolissant les limites du corps. Cette vision coïncide avec l’inspiration orientale et florale de la tendance hippy chic, folk ou psychédélique, et annonce, aussi la déconstruction par les créateurs japonais. À la faveur de la photographie de créations de haute joaillerie, Hiro aborde aussi le corps en gros plan. Distorsion, vision rapprochée, éblouissements répondent alors à la translucidité et à l’éclat des gemmes colorées.

Balenciaga

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

Dès 1938, Carmel Snow célèbre les créations de Cristóbal Balenciaga : « La meilleure école est la nouvelle maison espagnole, Balenciaga. Le noir est si noir qu’il vous porte un coup. » Harper’s Bazaar accorde tous les honneurs au « plus élégant couturier du monde » (1950), au « couturier du moment et du futur » (1955) qui habille sa rédactrice en chef. Les photographies de Richard Avedon soulignent la dimension architecturale de ses créations auxquelles répondent des mises en page très franches d’Alexey Brodovitch. Le goût de l’épure caractérise les images d’Avedon prises en studio, jouant avec l’amplitude et l’abstraction des volumes au service de la silhouette et du visage.

Dès 1954, Hubert de Givenchy disciple du couturier espagnol, est considéré par Snow comme l’un des plus grands couturiers. Il habille Audrey Hepburn dans Funny Face en 1957 et c’est Avedon qui est chargé de réaliser, entre autres contributions au film, les arrêts sur image (freeze frame). La comédie raconte les débuts d’un jeune mannequin et s’inspire du fonctionnement d’Harper’s Bazaar. Audrey Hepburn résume le dynamisme de la silhouette de mode du moment : juvénile, élégante et presque prête à tout. Son portrait par Avedon parait en couverture. C’est la première fois que le magazine prend ainsi le visage d’une actrice.

Peter Lindbergh

Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition.

À partir de 1992 Peter Lindbergh devient le photographe phare du magazine. Ses photographies, souvent en noir et blanc, tranchent avec la rutilance et la vision rapprochée de la décennie précédente. N’hésitant pas à se distancier de son sujet, il montre des silhouettes de mode dans New York, sur les plages ou dans le Grand Ouest. Mis en page par Fabien Baron, ses clichés composent de véritables « fashion stories ».

L’élégance des années 1940, le cinéma expressionniste ou réaliste inspirent ses portraits de super modèles : Kate Moss pose en salopette en 1994, sans maquillage apparent, comme une héroïne de John Steinbeck ou une figure d’August Sander. La séquence photographique Angel avec Amber Valletta évoque Les Ailes du désir de son ami Wim Wanders.

Par sa vision, New York s’impose comme une ville de mode où survit un accent de la vieille Mitteleuropa. Ses contrastes appuyés et une forme d’ascétisme s’accordent à l’austérité des créations de Jil Sander et au minimalisme d’Helmut Lang.

Le classicisme des images de Peter Lindbergh échappe à la prescription d’une mode, il marque l’esthétique et l’attitude de toute une génération.

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