Ces derniers, au nombre de quatre, n’en furent cependant ni les inventeurs ni les praticiens exclusifs ! Elaborée tout au long du XVIIe siècle et au début du siècle suivant dans les ateliers des vernisseurs parisiens, sans cesse améliorée, cette laque à la française ne représente pas une seule technique mais des techniques applicables sur des supports extrêmement variés : bois, cuir, métal, papier mâché, carton. De même, elle ne se cantonna pas à un seul secteur des arts décoratifs mais se déploya tant dans le mobilier, que dans le décor des boiseries, des voitures hippomobiles, des petites boîtes, tabatières, étuis et autres colifichets. L’engouement fut tel, que les marchands-merciers surent en tirer grand profit, proposant à leur clientèle, tant parisienne qu’européenne, des objets qui participèrent ainsi à l’élégance des intérieurs de ce siècle raffiné.
Reflet d’un intérieur parisien du XVIIIe siècle français, le Musée Nissim de Camondo compte, au sein de ses collections, quelques chefs-d’œuvre de cette technique. Léguées avec l’hôtel qui les contient à l’Union centrale des Arts décoratifs, aujourd’hui les Arts décoratifs, ces collections ne peuvent, selon les clauses testamentaires de son légataire, le comte Moïse de Camondo (1860-1935), être prêtées. Aussi nous vous proposons un parcours « vernis Martin » au sein de l’hôtel du collectionneur afin d’en découvrir les chefs-d’œuvre car en grand amateur du XVIIIe siècle qu’il était, Moïse de Camondo sut acquérir des pièces emblématiques comme la paire d’encoignures de l’ébéniste BVRB, la paire de vases en carton laqué ou encore la table en cabaret de RVLC.
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« La Samaritaine et le Pont-Neuf » signée Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet et datée 1755 (détail) Huile sur toile
Inv. CAM 570
© MAD
Ce tableau, dont une autre version, conservée au musée Carnavalet, est actuellement présentée au musée des Arts décoratifs, donne un aperçu d’un aspect de la vie parisienne, de ses embarras et des différents moyens de transport existants au milieu du XVIIIe siècle. Deux berlines aux roues peintes en rouge se croisent tandis qu’au premier plan, s’avance une vinaigrette ou brouette de louage ; chaise à deux roues tirée par un porteur à pied, c’était un service public de transport. Paris occupait en effet, la première place pour la fabrication de voitures, fournissant la plupart des cours européennes et des aristocrates. Les mérites et les talents des peintres-vernisseurs étaient grands et leurs créations aux sujets variés étaient comparées à de véritables tableaux de maître. Les métiers qui concouraient à la fabrication des voitures : carrossiers, vernisseurs et selliers, étaient regroupés au Faubourg Saint-Denis, les Martin jouèrent un rôle considérable.
Au musée des Arts décoratifs, à l’occasion de l’exposition « Les secrets de la laque française. Le vernis Martin », différents moyens de transport, notamment une berline commandée à Paris par la cour du Portugal, des traîneaux et des chaises à porteurs seront présentés exceptionnellement dans la nef. -
Jardinière rectangulaire, Paris, vers 1780-1790 Tôle laquée ; bronze ciselé et doré.
Inv. CAM 244
© Sophie Motsch
Le goût pour les objets en tôle laquée s’est renforcé en France à la fin du XVIIIe siècle par l’importation de produits anglais. Ceux-ci rencontrèrent une certaine faveur en raison de leurs prix modestes. Par son paysage et ses pagodes en or sur fond noir, cette jardinière reprend l’esthétique des laques japonais. -
Paire de vases attribuée à Etienne-Simon Martin, Paris, vers 1740-1750 Carton recouvert de laque bleue, bronze ciselé et doré
Inv. CAM 82.1 et 2
© MAD
Les peintres-vernisseurs ont non seulement mis au point des techniques imitant différents types de laque mais aussi d’autres matériaux. La forme, la couleur et la brillance de cette paire de vases nous les font prendre pour des porcelaines céladons chinoises. Cependant, de création exclusivement occidentale, ils sont en carton laqué. Leur forme a peut-être été inspirée par une paire de vases portant la même monture, conservés à la Wallace Collection (Londres). Cette idée d’associer aussi brillamment deux matériaux aussi différents, revient assurément à marchand-mercier. En effet, une paire comparable, « en carton peint façon d’albastre », est mentionnée dans l’inventaire après décès du marchand-mercier Simon De la Hoguette. Si leur provenance n’a pas été trouvée à ce jour, qui permettrait de proposer une attribution, on peut évoquer Etienne-Simon Martin, dont l’inventaire recensait, en 1770, trente-huit vases de carton, en « porfire poli », ou en « laque rouge poli ». -
Paire d’encoignures estampillée Joseph Feurstein (maître en 1767), Paris, vers 1770-1775 Bâti en chêne ; vernis Martin : laque bleue (devenue verte) et blanche, décor à l’huile vernie polie façon grisaille, laque transparente ; bronze ciselé et doré ; dessus en marbre blanc.
Inv. CAM 124.1 et 2
© MAD
Grâce à des camaïeux de gris, le peintre-vernisseur imite un bas-relief de pierre, dont l’effet en trompe-l’œil est renforcé par une bordure feinte qui encadre le décor. Les scènes mythologiques figurant Cérès et Flore se détachent sur un fond d’architecture à l’antique. L’ouverture dans le même sens des deux encoignures et leur iconographie laissent supposer qu’elles devaient à l’origine faire partie d’un ensemble de quatre destinées aux quatre angles d’une même pièce, composant ainsi une allégorie des Quatre Saisons. Les décors en camaïeu imitant la pierre sont presque toujours entourés d’une bordure bleue, souvent jaunie par l’oxydation de la dernière couche de laque transparente. -
Paire d’encoignures, attribué à Bernard Van Risen Burgh (BVRB), Paris, vers 1750 Bâti en chêne, laque du Japon pour la face ; vernis Martin pour les côtés ; bronze ciselé et doré ; marbre griotte.
Inv. CAM 36.1 et 2
© MAD
Le goût pour la Chinoiserie, suscita, à partir de 1740, la création de nombreux meubles et objets utilisant des panneaux de laque de Chine ou du Japon. Découpés dans des paravents ou des coffres, les panneaux étaient adaptés par un ébéniste au bâti d’un meuble, avant de passer entre les mains d’un peintre-vernisseur. Ici, un spectaculaire panneau en laque du Japon a été cintré afin d’obtenir le galbe de la porte. Ensuite, un peintre-vernisseur parisien a créé un décor de chaque côté du vantail, qui, poursuivant la ligne d’horizon, donne l’illusion d’un décor continu ; toutefois, s’il a veillé à nuancer les ors et les bruns pour donner de la profondeur, il n’a pas cherché à imiter les reliefs propres au laque japonais. -
Paires de commodes « à l’anglaise » estampillées Pierre Garnier, Paris, vers 1770 Bâti en chêne placage d’amarante, satiné, buis, ébène ; laque du Japon ; vernis Martin à l’imitation de l’aventurine ; bronze ciselé et doré ; marbre.
Inv. CAM 189.1 et 2
© Sophie Motsch
Les panneaux en laque noire et or du Japon qui forment les vantaux de ces commodes « à l’anglaise », sont encadrés d’une baguette en bronze doré et bordés d’une large bande en vernis aventurine. Il est inspiré du nashiji, une laque noire sur laquelle on a projeté de la poudre d’or avec une densité constante et dont le nom signifie « fond de poires » par analogie avec les granulosités de leur peau ; l’ensemble était ensuite recouvert de laque translucide jaune rougeâtre. Au XVIIIe siècle, fascinés par ses qualités décoratives et son aspect précieux, les vernisseurs parisiens imitèrent cette technique japonaise, afin de mettre en valeur et compléter les panneaux de laque orientaux. Elle est désignée par le terme « aventurine ». -
Plateau rectangulaire, Paris, anonyme, vers 1780-1790 Bâti en bois ; vernis Martin : laque rouge et or ; bronze ciselé et doré.
Inv. CAM 142
© Sophie Motsch
Le dessus du plateau en vernis Martin imite, avec virtuosité, les techniques de décor en relief japonais. Cependant, l’iconographie est d’inspiration chinoise, le magnolia étant, en effet, un des sujets de prédilection des peintres de l’empire du Milieu de même que la laque rouge également d’inspiration plutôt chinoise ; sur les pièces importées du Japon au XVIIIe siècle, on ne la trouve guère qu’à l’intérieur de coffrets et de coupes. Ce plateau qui porte une monture à frise ajourée et pieds en forme de sphinges ailées coiffées du némès égyptien, est représentatif du goût encore prononcé pour les objets montés à la fin du règne de Louis XVI. -
Table en cabaret estampillée Roger Vandercruse, dit Lacroix (maître en 1755), Paris, vers 1760 Bâti en chêne et tilleul ; vernis Martin ; dessus à plateau en porcelaine tendre de Sèvres, bronze ciselé et doré.
Inv. CAM 194
© MAD
Pourvue d’une tablette d’entretoise et d’un tiroir en ceinture, la table en cabaret est en outre recouverte d’un plateau en porcelaine ou en marbre. Facile à déplacer, elle sert à prendre une collation ou à écrire un petit billet. Ces meubles d’un genre nouveau, appelés aussi « travailleuse » ou « chiffonnière » furent imaginés par le marchand-mercier Simon-Philippe Poirier. Ici le décor du plateau en porcelaine de Sèvres dit « Courteille » a été repris, en vernis Martin, sur la tablette d’entretoise et l’ensemble de la table. Il est possible d’attribuer à deux des frères Martin, Etienne-Simon ou Julien, le vernis de ces petits meubles. Bien que jauni par l’oxydation de la dernière couche de laque, le fond était blanc comme la porcelaine et les guirlandes de fleurs du treillage bleues et vertes. Cette table est un exemple de l’affranchissement des vernisseurs parisiens de leurs modèles asiatiques abandonnant les traditionnels laques noir et rouge tout comme les scènes sinisantes.