Du dessin à l’objet en passant par le texte manifeste ou l’affiche, cette exposition, tissée au travers du parcours des galeries modernes et contemporaines, entend faire dialoguer des œuvres réalisées pendant le confinement avec celles des collections du musée.
« Un printemps incertain » veut présenter cette parenthèse inattendue qui fut celle de l’isolement, de l’éloignement, de la solitude pour certains ou bien des retrouvailles pour d’autres. Certains ont créé en silence quand d’autres œuvraient dans le brouhaha de la vie de famille, mais tous ont, par leurs créations, ouvert des horizons insoupçonnés.
Ces semaines qui sont devenues des mois ont formé une expérience inédite, pour les créateurs comme pour le musée lui-même et ses équipes. Jamais depuis 1939, hors période de rénovation et de travaux, le musée n’avait été fermé aussi longtemps et brutalement, ses équipes éparpillées et séparées malgré le continuum fructueux des réunions et des appels.
« Un printemps incertain » en témoigne aussi à sa manière : la commission des acquisitions du printemps et la réunion du Cercle Design 20/21, qui marquent l’enrichissement annuel des collections contemporaines et le début de l’été, ont été repoussés à l’automne 2020, non pas simple translation de dates, mais mutations et réflexion sur ce que signifie acquérir des œuvres pour un musée dans un monde plongé dans la crise. Réflexion collective qui est à l’œuvre dans cette exposition invitation, partagée par les membres de l’équipe scientifique concernés par la création contemporaine, design, graphisme, craft, monde du jouet, etc.
La pandémie de la « Covid 19 » fut bien sûr une source d’inspiration, que ce soit à travers des broderies de virus, un film sur l’impatience des objets exposés à retrouver leurs visiteurs, mais aussi des visières en impression 3D conçues par des makers pour les hôpitaux. Mais « Un printemps incertain » ne peut se contenter de montrer ce que la situation sanitaire a inspiré aux designers, ce qui serait très littéral, mais plutôt et plus justement, ce qu’a été pour eux ce moment. En échangeant avec les créateurs réunis, autant dire de suite qu’il n’y avait de la part du musée aucune attente particulière, une typologie requise, juste l’envie de montrer, simplement, ce qu’aura été pour chacun cette période proprement incroyable. Resserrant les liens déjà existants, c’est souvent en priorité les créateurs proches du musée, exposés ou présents dans les collections, compagnons de route et complices, qui ont été contactés, appelés, invités.
Dans une démarche d’humilité, il a été donné totale liberté à tous, pour certains la nature et le vivant sont l’un des thèmes récurrents ; le vol d’un papillon épris de liberté, une collection de galets roulés par les vagues, des photographies de rivage, des dessins de tables dressées dans des jardins inaccessibles, le tressage de plantes envahissantes, des tableaux de plumes.
Le Studio et l’Atelier, que le virus a déconnectés des lignes de production, sont devenus plus que jamais « un lieu à soi », filant la métaphore woolfienne, un espace solitaire où certains des créateurs ont retrouvé la voie de l’expérimentation, de l’esquisse, de la maquette. La main a souvent repris le dessus sur la machine, pour faire naître tissage de couleurs, miroirs chromatiques, labyrinthes tortueux… Quelquefois le confinement de certains créateurs en famille a entraîné un élan créatif vers le monde de l’enfance faisant émerger dans un sursaut de joie un mini-golf improvisé dans un couloir de maison, ou bien un alphabet revisité tout en combinaison et en couleur.
Dans les galeries modernes et contemporaines, c’est un parcours sensible, souvent inframince, qu’offrent les traces, les moments d’un « printemps incertain », sans lourdeur, sans leçon donnée, sans anticipation préconçue d’un « monde d’après » et aux conclusions hâtives que certains aimeraient en tirer.